Frédéric Henry, lieutenant américain, ambulancier volontaire sur le front de l’Issonzo en Italie pendant la première guerre mondiale, s’éprend de Catherine Barkley, jeune infirmière britannique. Il est gravement blessé et soigné par sa jeune fiancée [qui portera bientôt leur enfant et avec qui il s’enfuira en Suisse, afin de se protéger, lui et elle.]
Ce roman « à la première personne », écrit sur le vif avec la spontanéité du style journalistique de l’auteur, traversé de conversations familières, nous fait découvrir dans le cadre d’un récit témoignage, le caractère impitoyable de l’atroce boucherie de 14-18. Devant nos yeux, sans aucune complaisance macabre ou pathétique, se déroule la cruauté des combats autour de Gorizia : nous entendons par le récit de Frédéric le vacarme des marmitages, rendu par le recours à l’onomatopée décrivant le sifflement du shrapnell qui va bientôt broyer un de ses compagnons et le blesser gravement. Nous surprenons les conversations familières des soldats, hommes du quotidien déroulant leurs histoires personnelles et leurs rancoeurs. On y entend la voix des exclus, des sacrifiés en révolte contre la marche des événements, celle des désespérés que l’on rencontre dans tant d’autres récits des mêmes tragiques événements, aussi bien que celle des officiers taquinant au mess l’aumônier qui fait les frais de son célibat. On y entend notamment les accents moqueurs de Rinaldi, un officier ami de Frédéric qu’il appelle familièrement «bébé». C’est aussi la mort des camarades surpris au combat ou pendant la retraite vers Udine entre le Tagliatello et le Piave ; ce sont aussi les règlements de compte sournois où Frédéric abat un sous officier qui refuse de l’aider avec ses compagnons pour désembourber une ambulance. Toute une humanité en souffrance se retrouve prisonnière de la guerre et de ses hasards.
Le théâtre des opérations est sans doute moins familier aux lecteurs français que le décor habituel de Verdun, ou de la Somme puisque Hemingway nous transporte sur le front de l’Issonzo, dans le nord de l’Italie. Le point de vue n’est pas celui ordinaire d’un soldat luttant pour son pays mais celui d’un engagé volontaire pour qui les notions ordinaires de patriotisme n’ont pas cours. Ce n’est en outre pas le point de vue d’un latin mais bien celui d’un étranger, d’un américain pragmatique et détaché dont les réactions posées et un peu distant contrastent avec l’exubérance italienne. Le coup d’œil reste partiellement extérieur ; Frédéric n’hésitera pas à déserter et à quitter les rangs de l’armée en retraite après la cuisante défaite italienne de Caporetto en 1916 pour échapper au peloton d’exécution. Le récit nous rappelle en effet un détail historique : celui de la décimation, vieille pratique des armées de l’ancienne Rome, réactualisée par le commandement italien après la terrible défaite de Caporetto. (Les officiers supérieurs surpris dans la colonne de l’armée en retraite, loin de leurs unités, étaient arrêtés et fusillés pour désertion et pour l’exemple, après un jugement sommaire). Frédéric, arrêté par les carabinieri, pris pour un espion autrichien en raison de son accent étranger, échappera de justesse à la fusillade en se jetant dans le fleuve avant de pouvoir rejoindre sa fiancée à Stresa, sur le lac de Locarno.
Mais ce récit se veut aussi une ode à la vie et à l’espérance dont Frédéric sera brusquement privé. Avant que ne se ferme définitivement et brutalement la porte, le récit nous fera découvrir pour cadre d’une histoire d’amour, la Suisse de l’époque, Locarno et Montreuil, Lausanne enfin où Cate veut aller accoucher de leur enfant ; les paysages un peu carte-postale des Alpes enneigées et le sport d’hiver de l’époque. C’est là qu’enfin, Frédéric et Cate enceinte, vivront leur amour intense mais trop bref.
Nous assistons à une idylle vécue au départ comme une aventure charnelle par un héros qui, pris ensuite d’une passion naissante et grandissante pour sa partenaire, vivra une grande histoire d’amour. Un peu décevante pour un lecteur moderne, l’histoire d’amour aligne les stéréotypes de l’époque : des conversations très quotidiennes, sans grand relief, un personnage féminin un peu désuet dans ses réactions de femme ébahie par les prouesses de son compagnon qui semble, dans les propos anodins qu’il tient à sa compagne et tenir sa passion à distance malgré ce qu’il en dit. Le tout assaisonné de nombreuses rasades de Vermouth et de Martini ou de Grappa. L’alcoolisme, péché mignon de l’auteur n’est pas le propos essentiel du livre mais l’alcool y tient une place que la modernité a du mal à concéder. Pour qui sonne le glas offre des perspectives plus chaleureuses sur la passion et est en fait un livre beaucoup plus abouti. Les dernières pages qui voient la mort de l’enfant à la naissance puis celle de Cate conservent un certain pathétique sobre mais efficace et l’expérience du vide qui suit ce terrible double deuil et laisse seul le narrateur a quelque chose de poignant. L’Adieu aux armes est un bon livre qui plaira davantage à l’historien qu’à l’amateur d’histoires d’amour: en bref, un très bon récit témoignage; un bon livre d’aventures mais qui date un peu dans l’expression du sentiment amoureux.
Ernest Hemingway, "L'adieu aux armes"
DISPONIBLE
Document réalisé par Jacques Carle
commenter cet article …