Si chacun connait plutôt prou que peu le chroniqueur facétieux et brillant qui intervient sur France Culture, le critique à la plume acérée du Nouvel Observateur, la plupart des auditeurs-lecteurs ignoraient le passé douloureux de Jean-Louis Ezine jusqu’à la publication de son récit autobiographique Les Taiseux.
Enfant illégitime, Jean-Louis Ezine porte - bien malgré lui- le nom d’un beau-père alcoolique, violent et qu’il hait tellement qu’il ne croisera jamais son regard, ne lui adressera jamais la moindre parole. Alors, parce que sa mère se tait, ne délivre qu’avec parcimonie et à la manière du Petit Poucet des « traces » du vrai père, le jeune Jean-Louis rêve, s’invente un père idéal et se lance dans une longue quête-enquête. Difficile ! Les lourds secrets de famille restent enfouis…mais l’imaginaire joue un rôle salvateur, bientôt relayé par la course - « on court pour échapper à la honte, à la honte d’être soi » - par la poésie et la philosophie. D’ailleurs, c’est grâce à une phrase de Jules Lachelier rapportée par un professeur de philosophie – « on ne peut pas partir de l’infini, on peut y aller » - que Jean-Louis Ezine ose affronter son père biologique Robert Demaine. Une rencontre brève, violente : « Je suis votre fils ». Ironie tragique : quelques jours plus tard, ce père meurt et Jean-Louis Ezine est écrasé par la culpabilité jusqu’à ce qu’il apprenne l’imposture de cet homme volage et aux multiples vies secrètes et parallèles.
Ce livre est bouleversant : Jean-Louis Ezine ne force pas sur le pathos ; nul déferlement émotionnel, nulle sensiblerie : « Chez nous, écrit l’auteur, quand ça se tait, il faut avoir l’oreille fine pour distinguer la pudeur de l’indifférence. » Jean-Louis Ezine est un taiseux quand il s’agit de sa vie intérieure. En revanche, la langue sait se déployer avec élégance et sobriété lorsqu’il évoque des lieux, des objets, des personnes ; par exemple, il brosse un portrait magnifique de sa mère, femme modeste et éprise de poésie : « Ma mère adorait les poètes. Elle disait qu’ils font de jolies phrases, de tout, même du malheur des gens ». Jean-Louis Ezine a le souci du mot, de la formule et de l’image justes mais il fuit tout artifice : chaque détail n’est là que pour construire ou renforcer une impression. Ce livre avance comme un thriller : on suit le cheminement du narrateur dans cet imbroglio d’existences « où les boussoles s’affolent » jusqu’à l’expression finale « joie de connaître » qui apporte l’apaisement de l’accompli.
Jean-louis Ezine, « Les taiseux », Gallimard, 2009.
DISPONIBLE.
Document réalisé par Sylvianne Dondainas