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5 septembre 2011 1 05 /09 /septembre /2011 16:59

      Si chacun connait plutôt prou que peu le chroniqueur facétieux et brillant qui intervient sur France Culture, le critique à la plume acérée du Nouvel Observateur, la plupart des auditeurs-lecteurs ignoraient le passé douloureux de Jean-Louis Ezine jusqu’à la publication de son récit autobiographique  Les Taiseux.

            Enfant illégitime, Jean-Louis Ezine porte - bien malgré lui- le nom d’un beau-père alcoolique, violent et qu’il hait tellement qu’il ne croisera jamais son regard, ne lui adressera jamais la moindre parole. Alors, parce que sa mère se tait, ne délivre qu’avec parcimonie et à la manière du Petit Poucet  des «  traces » du vrai père, le jeune Jean-Louis rêve, s’invente un père idéal et se lance dans une longue quête-enquête. Difficile ! Les lourds secrets de famille restent enfouis…mais l’imaginaire joue un rôle salvateur, bientôt relayé par la course - «  on court pour échapper à la honte, à la honte d’être soi » - par la poésie et la philosophie. D’ailleurs, c’est grâce à une phrase de Jules  Lachelier rapportée par un professeur de philosophie  – «  on ne peut pas partir de l’infini, on peut y aller » -  que Jean-Louis Ezine ose affronter son père biologique Robert Demaine. Une rencontre brève, violente : « Je suis votre fils ». Ironie tragique : quelques jours plus tard, ce père meurt et Jean-Louis Ezine est écrasé par la culpabilité jusqu’à ce qu’il apprenne l’imposture de cet homme volage et aux multiples vies secrètes et parallèles.

            Ce livre est bouleversant : Jean-Louis Ezine ne force pas sur le pathos ; nul déferlement émotionnel, nulle sensiblerie : « Chez nous, écrit l’auteur, quand ça se tait, il faut avoir l’oreille fine pour distinguer la pudeur de l’indifférence. » Jean-Louis Ezine est un taiseux quand il s’agit de sa vie intérieure. En revanche, la langue sait se déployer avec élégance et sobriété lorsqu’il évoque des lieux, des objets, des personnes ; par exemple, il brosse un portrait magnifique de sa mère, femme modeste et éprise de poésie : « Ma mère adorait les poètes. Elle disait qu’ils font de jolies phrases, de tout, même du malheur des gens ». Jean-Louis Ezine a le souci du mot, de la formule et de l’image justes mais il fuit tout artifice : chaque détail n’est là que pour construire ou renforcer une impression. Ce livre avance comme un thriller : on suit le cheminement du narrateur dans cet imbroglio d’existences  «  où les boussoles s’affolent » jusqu’à l’expression finale «  joie de connaître » qui apporte l’apaisement de l’accompli.

 

Jean-louis Ezine, « Les taiseux », Gallimard, 2009. 

Lecture-Loisirs.

               DISPONIBLE.               

Document réalisé par Sylvianne Dondainas

 


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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 09:18

        « Une veuve de papier » (1999) est probablement le meilleur roman de John Irving. La raison en est peut-être que ce feuilletoniste habile et surdoué y vise, ce qui est sans doute le meilleur moyen d’y atteindre, à la littérature.   Ce prodigieux tourneur de pages, expert dans l’art de tenir en haleine le lecteur, de rebondissements spectaculaires en volte-faces inattendues, y insère dans ce seul volume une dimension supplémentaire, inédite jusqu’alors et point retrouvée depuis, et que nous appellerons, faute de mieux, l’ambition littéraire.

Il est des vies pour lesquelles l’été 1958 ne finira jamais. Celle de Eddie O’Hare, 16 ans à l’époque, est du nombre. Mais il ne sera jamais que le témoin, périphérique et concerné, de l’histoire, comme souvent avec Irving, aux thématiques obsédantes, assourdies et ressassées. A l’été 1958, donc, le tout jeune Eddie avait été recruté par le célèbre dessinateur pour enfants Ted Cole, avec deux missions d’inégale importance ; l’une, marginale et affichée, s’occuper de sa fille Marion, 4 ans ; l’autre, décisive et secrète, devenir l’amant de sa femme Ruth, afin de laisser le champ libre au mari volage.       Eddie s’acquittera de ces deux tâches, faisant 60 fois (Irving tient à ce décompte ; une dédicace secrète, peut-être ?) l’amour avec Marion durant l’été, ce qui le bouleversera pour le reste de sa vie. Pour qu’un été reste inoubliable dans une vie qui en comptera quelques-uns, il faut et il suffit d’une  bonne raison.

Le couple de Ruth et de Ted a été brisé par un drame infiniment plus immense, et commun à tous les livres d’Irving, que les adultères compulsifs de ce sacré coureur : la mort violente de leurs deux jeunes garçons. Marion naîtra ultérieurement, ultime et inutile tentative de renouer ce qui a été rompu à jamais. Ruth s’enfuit à l’orée de l’automne, laissant Eddie inconsolé, Ted parfaitement satisfait de son petit stratagème, et Marion trop petite pour comprendre. Voire ; elle deviendra écrivain, et le cœur du récit est la quête de sa propre archéologie menée en commun avec Eddie, devenu son ami. Une scène d’anthologie, admirablement maîtrisée, emporte la conviction qu’Irving est un romancier sous-estimé, à commencer par lui-même. Marion a appris à conduire sous la rude férule de son père aimant, assis à la place du mort, lui disant les pires horreurs tout en l’obligeant à ne pas quitter la route des yeux. Dur est le code de la route, dirais-je peut-être - si du moins j’avais mon permis. Dure est la loi de la vie, en tout cas. 

  Dans ce monde cruel, sans doute est-il indispensable d’endurcir qui l’on aime. Mais les enfants ne sont pas forcément les plus fragiles. Marion rendra au centuple la monnaie de sa pièce à son père, par quelle confession cruelle. Ted, les yeux pleins de larmes, mènera la voiture à bon port. L’auteur de cette scène, et sans doute de ce livre, est un grand romancier qui jamais plus ne sera si jeune.

 

 

John Irving, « Une veuve de papier », Seuil, 1999. 

Lecture-voyage.

               DISPONIBLE.               

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 16 mars 2011

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10 mars 2011 4 10 /03 /mars /2011 15:55

Au menu de la soirée débat du 19 avril     

 

Chantre de longue distance sarcastique et satirique de la middle class américaine, John Updike (1932-2009) aura toujours cherché, et souvent atteint, l’équilibre miraculeux, et éminemment littéraire, entre émotion et dérision. Son oeuvre vaste et protéiforme est bordée, à l’Ouest par la tétralogie augmentée des Rabbit de « Coeur de lièvre » (1960) à « Souvenirs de Rabbit » (2000), et à l’Est par la trilogie truquée des Bech, de « Bech voyage » (1970) à « Bech aux abois » (1998). Harry « Rabbit » Angstrom, héros de la première saga, est un concessionnaire automobile inconstant en toute chose, nonchalant et sexy, aimant trop les sucreries, et Henry Bech, protagoniste de la seconde, est un écrivain juif fameux et assez craintif. Trop d’émotion chez Rabbit, trop de dérision chez Bech ? Trop de clins d’œil, aussi, de l’auteur à ses propres livres. Mais toujours une langue superbe, baroque et surchargée, diaprée, irisée, sinueuse, sifflante,  ondoyante. Grand prosateur, romancier inégal.

Soit. Dans ces conditions, « Tu chercheras mon visage » (paru en 2002 aux Etats-Unis, traduit en France en 2006) est peut-être à la fois une bonne introduction aux oeuvres complètes d’Updike, et, pourquoi pas, son atout maître secret, son chef-d’œuvre dissimulé en pleine lumière. Disons le mot : son meilleur livre. Ample sans être bavard, virtuose sans être esbroufeur, maîtrisé sans être essoufflé. Le prétexte de cette fresque qui revisite à bride abattue un demi-siècle d’histoire des Etats-Unis est la longue confession feutrée et digressante de Hope Mac Coy, veuve de Zack, peintre célèbre suicidé, épousant en secondes noces Guy Holloway, autre peintre célèbre dont elle divorcera, et elle-même peintre. Les thésards en histoire de l’art reconnaîtront sans doute ici un roman à clés (Pollock et Warhol ?), mais les béotiens dont nous sommes se laisseront porter par le flux d’une narration superbement tenue, qui traverse les époques avec comme fil conducteur indestructible une passion, d’ordre quasi religieux, pour la peinture. Hope raconte, avec un mélange diablement sexy de vivacité et de liberté ses amours, ses désillusions et ses engagements. Updike s’est magnifiquement documenté, et tout sonne vrai ; la bohème et le blé, la passion de peindre et le désir d’autodestruction, les amours collatérales et les fâcheries politiques. Si ce superbe livre a un motif avoué, la peinture, il mène à bon port, sans le côté démonstratif qui l’entache parfois, l’une des idées fixes de l’auteur : la montée de la puissance féminine. C’est un roman d’éducation et d’émancipation que confesse Hope, passée d’un patriarcat irréel à une égalité précaire et menacée. De Sarah Palin à Hillary Clinton ? Mouais. Plutôt de la desperate housewife, type « Ma sorcière bien aimée » à Ally Mac Beal.

 

 

John Updike, « Tu chercheras mon visage », Seuil, 2006. 

Lecture-voyage.

DISPONIBLE.            

 Document réalisé par L. LE TOUZO, le 16 février 2011 

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10 mars 2011 4 10 /03 /mars /2011 15:52

Au menu de la soirée débat du 19 avril

 

A la parution de « Netherland », le beau livre subtil et mélancolique de Joseph O’Neill, bénéficiant par surcroît du seing royal, imparable et incomparable, l’adoubement du critique littéraire le plus célèbre de la planète, Barack Obama himself, moult commentateurs prétendirent qu’il s’agissait du premier grand roman sur le 11 septembre, et ses conséquences. A mon sens, « Netherland » serait plutôt un livre sur le déracinement - mais laissons cela. Ce qui ne se discute point, c’est que l’avait précédé « La belle vie », le  roman de Jay Mac Inerney, paru aux Etats-Unis en 2006. Et qu’il s’agit d’un livre somptueux.

 JMI, cela participe de son charme, a de la suite dans les idées. Ainsi retrouve-t-on dans « La belle vie », à peine vieilli, le couple brillant et glamour de « Brightness falls » (tristement traduit par « Trente ans et des poussières »), Russell et Corinne Callaway. Beaux, jeunes, riches, cultivés, intelligents, lui éditeur en vue, elle avocate en vogue, ils ont tout pour plaire - et plaisent en effet. Du côté de chez Fitzgerald ? Peut-être, mais revu et corrigé par les paperbacks et Internet. Le charme prenant des romans de Mac Inerney tient beaucoup au fait que les personnages y sont des intellectuels, et que l’auteur éprouve pour eux une réelle bienveillance, sans que l’on puisse avec certitude établir un lien de cause à effet : Ellis, son incontournable concurrent, rival et ami,  préfère choisir des baudruches décérébrées, à la fois ataraxiques et avides, afin de les dégonfler à coups d’épingle habiles, ou de les brûler à l’acide. A chacun ses plaisirs, mais cela reste le choix de la facilité.        

Le couple royal du bal de fin d’année s’est oxydé ; deux enfants, quelques passades inoffensives du côté de Russell ; la vie qui suit son cours, étale en surface et cependant tumultueuse en profondeur, corrompant l’or le plus pur de rouille légère. Le récit de « La belle vie », c’est, en plein cœur du 11 septembre et du désarroi collatéral généralisé, la plus profonde histoire d’amour de Corinne pour un bénévole obstiné du jour d’après, Luke Mac Gavock. Lui aussi marié et avec charge d’âmes. L’adultère est-il la réponse des paumés, ou une question supplémentaire que résoudront, ou pas, les forts en thème, et malins en tout ? Peut-on refaire sa vie lorsque l’on a tant de chaînes aux pieds, et dans un contexte si tragique majuscule, qui laisse la portion congrue aux intermittences du cœur ? Ce beau roman mélancolique et apaisé ne tranchera pas, car son auteur, maître d’une langue souveraine, sinueuse et souple, est trop malin pour ne pas s’inscrire dans une filiation littéraire somme toute traditionnelle, la meilleure, celle des stylistes diplômés en psychologie, les Cheever, Updike, Banks, Ford. Avec ce livre de crépuscule et de renaissance mêlés, life goes on, Mac Inerney confirme qu’il est le meilleur écrivain de sa génération.

 

 

Jay Mc Inerney, « La belle vie », L’Olivier, 2007.

Lecture-voyage.

DISPONIBLE.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 15 février 2011 

 

 

 

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 17:08

    Entre transfert à sensation, adaptation cinématographique - pénible -  et chiffres astronomiques, ce roman de 2005, le quatrième de Michel Houellebecq, aura sans doute constitué le sommet de la hype ou du buzz - qui se confondent dans mon esprit ignorantin, tant m’horripile ce lexique barbare - autour de cet auteur. Il était alors difficile de lire sereinement ce livre, tant l’extra et le para littéraire avaient pris le dessus sur le texte, ainsi qu’il advient parfois en société médiatique. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que « La carte et le territoire » semble avoir, via le Prix Goncourt 2010, et divers ralliements spectaculaires autant qu’inattendus, érigé l’amer Michel en Grande Cause Nationale ?

Le résultat d’ensemble est mitigé ; certes il y a, déjà, encore, toujours, quelque chose comme une signature Houellebecq. En premier lieu, une fluidité narrative que de moins suaves que votre serviteur pourraient qualifier de sous-écriture ;  et certes ce roman, comme les autres, est intégralement dénué d’éclats de langue. Puis, une vision du monde sous neuroleptiques, sinistre et lugubre, qu’éclaire à peine le romantisme qui perdure de l’amour impossible, ici d’ailleurs vécu par le protagoniste selon une double déclinaison : Nathalie, une femme de tête, mature et de l’âge du narrateur, et Esther, une jolie fleur de vingt ans sa cadette ; les esprits s’accordent avec la première, les corps exultent avec la seconde. De l’eau de rose dans le liquide de frein. Double catastrophe finale, bien évidemment. Enfin, des scènes de sexe crédibles, réitérées, trash, réussies, qui stupéfieront rétrospectivement les lecteurs de cet étonnant précis de chasteté qu’est « La carte ». Bref, une manière.

 Mais alors, qu’est-ce qui cloche ? Sans doute l’échappée de ce livre vers une science-fiction d’apocalypse de carnaval n’aide-t-elle pas. Le ton grinçant et drôle, une constante chez Houellebecq, pourrait enlever l’ensemble, mais en dépit d’un savoir-faire indéniable, le lecteur éprouve tout de même du mal à se passionner pour les mésaventures, de Daniel, humoriste odieux avide et brutal, et pour celles de ses multitudes de clones éparpillés au cœur du futur. Le roman le plus ambitieux, mais aussi, par un paradoxe qui n’est qu’apparent, le plus inachevé, voire le plus inabouti de cet auteur majeur de la littérature contemporaine.

 

 

Michel Houellebecq, « La possibilité d’une île », Fayard, 2005.

DISPONIBLE.

Lecture-loisir.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 2 avril 2011.

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7 mars 2011 1 07 /03 /mars /2011 17:02

      Jérôme Garcin est un acteur majeur de la vie culturelle qui, pour employer le vocabulaire équestre qui lui est cher, ne manque pas d’assiette. Du « Nouvel Observateur » au « Masque et la Plume », en passant par dix autres belvédères confortables, il est l’un de ceux qu’il est convenu de nommer incontournables, terme d’autant plus adéquat qu’il s’agit d’un périmètre étroit et peu aéré. Ce n’est pas plus mal : cela lui évite les aigreurs vacillantes de ses aînés, qui identifient le déclin des lettres françaises à leurs propres déconvenues narcissiques. Garcin aime admirer, et sait le dire dans une prose élégante et cambrée.

Il ajoute à ces belles qualités un souci et un sens de la mémoire (et de la dette) que j’irai jusqu’à qualifier, une fois n’est pas coutume, d’abusif. « Son excellence Monsieur mon ami » illustre, tu m’étonnes, mon propos. Il s’agit du portrait mi-indulgent mi-narquois de son ami intime et aîné de trente ans, François-Régis Bastide (1926-1996). Abusif ? Il ne semble pas, en effet, ni à la lecture - méticuleuse - de ces pages émues, ni à celle - distraite - du protagoniste, que FRB ait été injustement oublié. C’est le prototype de l’écrivain se goinfrant d’honneurs, jusqu’à être nommé ambassadeur, Mitterrand regnante, tout en encombrant les librairies de récits mièvres et anodins. Rien de déshonorant, certes, mais si la littérature c’est ça, je suis King Kong.

Deux livres, masqués, se dessinent sous le premier, revendiqué, qui est une reconnaissance de dette douce-amère, envers cet oubliable oublié. Le premier est un autoportrait oblique et crypté, Garcin ayant quasi « hérité » de Bastide la direction du « Masque ». Texte touchant et réussi, dans la mesure où je préfère le portraitiste au portraituré. Le second, moins parfumé, qui rejoint le livre récent de Lindon, est une description mi-navrée mi-complice des mœurs désolantes de l’intelligentsia, qui à elle toute entière possède  moins de vertus morales que 23 pousseurs de ballon dans un bus : la scénographie littéraire, plutôt que la littérature. On y apprend que Tartemuche et Tartemolle sont fâchés à mort, d’une mort qui, à la différence de l’autre, n’a rien d’irrémédiable, mais sur ce qu’ils ont écrit, mystère et boule de gomme. Ou que « L’évènement du jeudi » (où Garcin officia de 1984 à 1994), c’était la cour des Médicis - ce point m’avait échappé, je n’y avais vu qu’un endroit bruyant et mal éclairé. 

Si un lettré est un être crispé fort préoccupé de préséances et de protocoles, tandis qu’un littéraire est un amoureux décontracté des mots et un intoxiqué souriant des métaphores, alors ce livre est le portrait d’un lettré par un hybride, ce qui marque à la fois son charme et sa limite, croyez-en un littéraire - ou qui voudrait l’être.

 

 

Jérôme Garcin, « Son excellence monsieur mon ami », Gallimard, 2008.

DISPONIBLE.

Lecture-loisir.

      Document réalisé par L. LE TOUZO, le 8 avril 2011

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6 mars 2011 7 06 /03 /mars /2011 16:05

       Après l’Amérique, Bernard-Henri Lévy, mû du moins par une belle santé de touriste itinérant et ingénu, visite une contrée qui lui est encore plus exotique : la gauche. « Ce grand cadavre à la renverse », en effet, affiche dès son titre, emprunté à Sartre, la couleur : hyperbole et hystérie, confusion et narcissisme à tous les étages. Pour BHL, la gauche n’est qu’une case supplémentaire de son échiquier égotiste. En confondant, dès l’origine, la situation de la gauche française au lendemain d’une défaite ponctuelle et honorable à l’élection présidentielle et celle décrite, avec quelle sagace cruauté, par Sartre en 1960 dans cet inoubliable et inoublié morceau de roi qu’était donc sa préface à « Aden Arabie », l’auteur démontre, à ceux qui en douteraient encore, qu’il n’y a guère de lumières à attendre de cet ouvrage.

Tout préoccupé de s’y présenter sous le jour le plus avantageux, l’auteur ne prend guère la peine de décrire le paysage qui est censé être son sujet. Cet album de vignettes désinvoltes et satisfaites est surtout une galerie des Glaces où l’auteur promène son ego boursouflé, tranchant avec un aplomb digne de meilleures causes de questions complexes, comme un épilogue drolatique s’additionnant par dérision à une histoire glorieuse et terrible, triste et bigarrée. Ce livre s’apparente à la tradition des historiens de la politique, les Ory, Winock, Sirinelli, et autres Slama à la manière dont Petit Ours Brun s’inspire de Dostoïevski. (Si, si, je vous assure.) En outre, cette distribution de bons points rétrospectifs étonne par son arrogance, surprend par son orthodoxie, et ne dit guère que le confort de venir dans l’après-coup dire le bon, le juste et le vrai. 

L’imaginaire de bandes dessinées de Lévy s’exprime dans le choix, assumé et revendiqué, de figurines Panini qui oublient toute dynamique pour se focaliser sur des images exaltantes et isolées : le Front Populaire, la Résistance, la décolonisation, Mai 68 - ce n’est plus le cinéma, c’est la lanterne magique. Voilà qui est original ; qui, à gauche - et même ailleurs  - serait contre ? Conformiste, consensuel et convenu dans le patrimonial, BHL ne s’anime que dans l’extrême modernité, où, pacsé à son indécrottable manichéisme de supporter de foot, il démonise celui qui lui aura disputé l’enviable rôle de speech-writer de Ségolène Royal : Jean-Pierre Chevènement. Bref, tout cela oscille des spéculations philosophiques interloquées de khâgneux jouant avec les grands noms comme un enfant avec des cubes de couleur, et des embrouillaminis tactiques de congressiste calculateur, pesant au trébuchet chaque courant du PS.

En fait, c’est à son insu, et à son corps défendant, que ce livre et son auteur définissent une praxis minimaliste de la gauche : en creux. Qu’est l’auteur ? Riche à millions, donneur de leçons, manichéen, schématique, médiatique, rapide, pressé ; voici, à condition d’en inverser rigoureusement tous les termes, une sorte de service minimum pour l’intellectuel de gauche,  ce modeste être vivant vertical - pour aller jusqu’au bout de cette logique d’inversion.

 

 

Bernard-Henri Lévy, « Ce grand cadavre à la renverse », Grasset, 2007.

DISPONIBLE.

Lecture-loisir.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 1er mars  2011 

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5 mars 2011 6 05 /03 /mars /2011 16:10

     Bayon, la plume rock de « Libé », a commencé à écrire dans la feuille gauchiste recentrée en 1980 ; en 2010, il y sévit toujours. C’est peu de dire qu’il en est le vétéran : il pourrait être le grand-père de certains rubricards. Ainsi cette tête brûlée a-t-elle doublement survécu, au mode de vie destroy traditionnellement attaché au rock, et aux restructurations et ouvertures de capital - les économistes vont me découper, j’ignore tout de ce lexique barbare - qui auront embrasé et dégraissé la grande presse. Par ailleurs, Bayon est aussi romancier, d’inspiration strictement autobiographique.

Ce nouveau livre reprend la trame du sixième, peut-être le meilleur, « La route des gardes », paru en 1998. Il avait été dans sa turbulente adolescence la victime autant que l’auteur d’un terrible accident de moto en Afrique, qui l’avait conduit aux frontières du trépas ; cette même année 1998, en vélo dans le Tourmalet - la moto à 19 ans, la bicyclette à 47, une logique de vie ? -le voici qui connaît son second « traumatisme crânien avec perte de connaissance », selon la terminologie de la Faculté. J‘avais beaucoup aimé « La route des gardes », sa préciosité cabossée, son lyrisme irréconcilié de grammairien hurleur. La tête à claques en avait sous le capot. Mais en passant de la grosse cylindrée pétaradante au rétropédalage pyrénéen, s’il a de toute évidence obtenu médicalement la même accumulation de fractures, d’un strict point de vue littéraire, qui est tout ce qui nous occupe ici, il s’agit moins d’un remake que d’une resucée, qui tourne quelque peu à vide.

Le Mallarmé de la Fender Stratocaster s’autopastiche avec une certaine élégance, mais l’enfant du rock n’avait sans doute pas en lui la matière d’une autobiographie écartée en six volumes - qui l’a au reste, sinon Wayne Rooney ? Tel est le paradoxe cruel qui condamne à la plus terrible des caricatures, celle à laquelle on consent (de) soi-même, les enfants d’Elvis et des Stones, les François Bon, Michka Assayas, Patrick Eudeline, Antoine de Caunes - qui a changé de couplet, et s’en sort avec les honneurs -, et donc Bayon himself ; ils avaient signé un pacte faustien avec la jeunesse du monde.  Ainsi se trouvent-ils fort dépourvus lorsque, le retour d’âge advenu, ils se trouvent affublés de lunettes à double foyer et de déambulateurs.

 

 

BAYON, « Tourmalet », Grasset, 2010.

DISPONIBLE.

Lecture-loisir.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 2 mars  2011

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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 17:45

     Frédéric Schiffter est un philosophe pessimiste et élégant. Si ce professeur champion olympique du j’men-foutisme pédagogique ne peut guère être apprécié par les professeurs, tant il conforte, avec un aplomb indiscutablement courageux, et peut-être salubre, les pires clichés sur les enseignants, il cultive également une saine ironie vis-à-vis des idoles de la branche, qui ont selon lui pour point commun d’avoir troqué la rude autant qu’amère philosophie de haut vol amère pour une vague autant que molle sagesse prétendument consolatrice. La philosophie n’est pas, selon Schiffter, un département éditorial du bien-être, et encore moins de l’atroce - le mot autant que la chose - développement personnel.

Cet auteur n’aura jamais écrit, semble-t-il, que des autobiographies obliques vagabondant sur les rivages de la philosophie. C’est un littéraire, c’est-à-dire un dilettante de l’absolutisme traditionnellement rattaché à la littérature hauturière, et somme toute, une sorte d’anarchiste doux, civilisé par la fréquentation des grands auteurs. S’il est difficile d’imaginer une exégèse strictement universitaire d’un auteur tel que Montaigne, rarement du moins aura-t-on lu commentaire aussi buissonnier et nonchalant, ce qui, dans le fond, est la logique autant que la fidélité mêmes. Montaigne n’est ici qu’un prétexte, comme il le sera - bien accompagné -, ailleurs. Si Schiffter l’aime autant qu’il le connaît, ce qui n’est pas peu dire, il est pressé de revenir à ses propres marottes ; allergique à Onfray -bravo -, séduit par Houellebecq -bis -, il est plus que tout avide de dévoiler sa vie, ses amours, bref ses lieux et circonstances.

C’est drôle, en lisant ce livre, qui a peu de chances de rencontrer l’agrément ou même l’attention d’un « Closer » et autre « Voici », j’ai ressenti  mieux que jamais l’attrait de tout un chacun - moi y compris, si vous voulez -  pour la presse people. Derrière la célébrité passée à la paille de fer, il y a des fragments de vie. Truqués et biaisés sans doute autant que les cérémonies glamour dont elles sont l’ostensible envers, mais en version âpre et acide, voire trash. Voici du moins un précis de liberté grande, qui, à l’inverse de quelques contrefaçons notoires et négligeables, dispose dans ses soutes de vastes échantillons. A l’époque où le moindre médiatique s’écrie à tout propos, et hors de propos : « Je suis un esprit libre », tout en manifestant derechef le contraire, Schiffter, qui ne l’écrirait jamais, (tant cela est aussi inutile qu’inélégant, critère décisif chez ce dandy), en revanche le démontre par l’exemple à chaque page.                     

 

Frédéric Schiffter, « Le plafond de Montaigne », Milan, 2004.

DISPONIBLE.

Lecture-savoir.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 17 décembre 2010

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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 12:21

      L’Espagne est devenue championne du Monde de football en 2010 en Afrique du Sud, soit deux ans après avoir été sacrée championne d’Europe à Vienne en 2008. Doubler la mise en haussant encore son niveau de jeu, confirmer alors que l’on est devenu le favori universel, triompher dans le même registre de maîtrise et de talent tout en parvenant à surprendre des adversaires qui avaient appris par cœur ce type de jeu : la Roja a réussi tout cela, et haut la main encore. Hé bien, il n’y a qu’à cette apothéose de justice et de logique que je puis comparer cette merveilleuse et inégalable « Encyclopédie capricieuse du tout et du rien », avec laquelle Charles Dantzig a enfoncé avec grâce et élégance le clou d’or qu’était, ceignant tout ce que nous chérissons, le « Dictionnaire égoïste de la littérature française ».

Ici, c’est pareil, sauf que c’est encore meilleur - comme, m’a-t-on dit, lorsque l’on épouse en secondes noces l’unique femme de sa vie, après un premier divorce à la fois inutile et indispensable. Dans le « Dictionnaire », il y avait encore le prétexte d’un vagabondage buissonnier et suprêmement original dans les pages centrales, et dans les marges, de ce vaste massif qu’est la littérature française patrimoniale - ou faut-il dire le patrimoine littéraire ? Ici, il n’y a plus qu’une plume magistrale et décontractée - magistralement décontractée - dans tous les replis de la vie d’un honnête homme du XXIème siècle, à la fois profondément intempestif par l’immensité de son érudition et parfaitement contemporain par la multipolarité de sa curiosité. Qui l’eût cru, qui l’eût dit, qu’une vie, a fortiori si libre et si généreuse, puisse se déplier par le biais d’une accumulation hétéroclite de listes, plus baroques, cocasses et inattendues les unes que les autres ? Tel est pourtant le cas dans cette autobiographie camouflée, ne laissant rien ignorer de la vie de Charles Dantzig, sinon, par une pudeur louable, les recoins de sa vie privée. Ainsi est-il prouvé, de quelle manière souveraine, que l’on peut être un romancier encombré, et cependant un écrivain essayiste merveilleux, érudit et drôle, libre et roboratif, caracolant et désinhibé. Le genre littéraire n’est rien, le talent est tout, ce que manifeste surabondamment ce chef d’œuvre qui crée, et peut-être clôt, le genre qu’il illustre.                   

 

Charles Dantzig, « Encyclopédie capricieuse du tout et du rien », Grasset, 2009.

DISPONIBLE.

Lecture-savoir.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 12 janvier  2011

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