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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 09:18

        « Une veuve de papier » (1999) est probablement le meilleur roman de John Irving. La raison en est peut-être que ce feuilletoniste habile et surdoué y vise, ce qui est sans doute le meilleur moyen d’y atteindre, à la littérature.   Ce prodigieux tourneur de pages, expert dans l’art de tenir en haleine le lecteur, de rebondissements spectaculaires en volte-faces inattendues, y insère dans ce seul volume une dimension supplémentaire, inédite jusqu’alors et point retrouvée depuis, et que nous appellerons, faute de mieux, l’ambition littéraire.

Il est des vies pour lesquelles l’été 1958 ne finira jamais. Celle de Eddie O’Hare, 16 ans à l’époque, est du nombre. Mais il ne sera jamais que le témoin, périphérique et concerné, de l’histoire, comme souvent avec Irving, aux thématiques obsédantes, assourdies et ressassées. A l’été 1958, donc, le tout jeune Eddie avait été recruté par le célèbre dessinateur pour enfants Ted Cole, avec deux missions d’inégale importance ; l’une, marginale et affichée, s’occuper de sa fille Marion, 4 ans ; l’autre, décisive et secrète, devenir l’amant de sa femme Ruth, afin de laisser le champ libre au mari volage.       Eddie s’acquittera de ces deux tâches, faisant 60 fois (Irving tient à ce décompte ; une dédicace secrète, peut-être ?) l’amour avec Marion durant l’été, ce qui le bouleversera pour le reste de sa vie. Pour qu’un été reste inoubliable dans une vie qui en comptera quelques-uns, il faut et il suffit d’une  bonne raison.

Le couple de Ruth et de Ted a été brisé par un drame infiniment plus immense, et commun à tous les livres d’Irving, que les adultères compulsifs de ce sacré coureur : la mort violente de leurs deux jeunes garçons. Marion naîtra ultérieurement, ultime et inutile tentative de renouer ce qui a été rompu à jamais. Ruth s’enfuit à l’orée de l’automne, laissant Eddie inconsolé, Ted parfaitement satisfait de son petit stratagème, et Marion trop petite pour comprendre. Voire ; elle deviendra écrivain, et le cœur du récit est la quête de sa propre archéologie menée en commun avec Eddie, devenu son ami. Une scène d’anthologie, admirablement maîtrisée, emporte la conviction qu’Irving est un romancier sous-estimé, à commencer par lui-même. Marion a appris à conduire sous la rude férule de son père aimant, assis à la place du mort, lui disant les pires horreurs tout en l’obligeant à ne pas quitter la route des yeux. Dur est le code de la route, dirais-je peut-être - si du moins j’avais mon permis. Dure est la loi de la vie, en tout cas. 

  Dans ce monde cruel, sans doute est-il indispensable d’endurcir qui l’on aime. Mais les enfants ne sont pas forcément les plus fragiles. Marion rendra au centuple la monnaie de sa pièce à son père, par quelle confession cruelle. Ted, les yeux pleins de larmes, mènera la voiture à bon port. L’auteur de cette scène, et sans doute de ce livre, est un grand romancier qui jamais plus ne sera si jeune.

 

 

John Irving, « Une veuve de papier », Seuil, 1999. 

Lecture-voyage.

               DISPONIBLE.               

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 16 mars 2011

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