Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 mars 2010 3 31 /03 /mars /2010 12:26

  Né en 1983, Vincent Message est professeur d'Université. Les déplorants qui aiment à peindre une jeunesse aphasique et illettrée – ce qui est aussi malin que de prétendre que tous les vieux sont des clones d'Eugène Saccomano – ignorent sans doute jusqu'à son existence. Rien de plus logique : son premier roman, « Les Veilleurs », ample et magistral, invalide à lui seul cette idéologie délétère et complaisante. Pour soutenir que le littérature française est à bout de souffle, il faut et il suffit de n'en pas lire souvent. De toute façon, l'application schématique et butée de concepts aussi propres à la nuance que déclin ou décadence – ou, mais c'est plus rare, progrès – est absolument inappropriée en art : elle indique à elle seule qu'il ne s'agit pas de décrire mais d'éditorialiser.

La force énorme de ces « Veilleurs », c'est qu'il s'agit d'un suspense érudit et ludique, qui a la vertu seconde de faire réfléchir, mais dont le récit – admirable de maîtrise - est mené à bride abattue. Le noyau de l'histoire est en effet une enquête policière, qui se déroule dans un futur proche, et dans un peu riant pays, société de contrôle et compagnie. Nexus est le héros du livre, et l'auteur d'un crime d'amnésique : il a tué, au hasard dans la rue – encore ! - trois personnes, dont la maîtresse du Président, et ne se souvient de rien. Hasard malencontreux ou crime politique ? Un policier et un psychiatre mènent, de front, l'enquête. Pages superbement serties sur la vie privée des principaux protagonistes, avec en surplomb omniprésent, le Président irrité. Les rêves de Nexus – incroyablement précis - deviennent peu à peu le principale pièce à conviction de l'enquête. Roman triplice, policier, psychanalytique, subrepticement politique, « Les Veilleurs » passionne, convainc et interroge. Une réussite presque incroyable pour un premier roman, et le meilleur livre de l'année 2009, ex aequo avec « L'encyclopédie capricieuse du tout et du rien » de Charles Dantzig.


Vincent MESSAGE, « Les veilleurs », Seuil, 2009.

DISPONIBLE.

Lecture-savoir.

   Document réalisé par L. LE TOUZO, le 26 mars 2010

Partager cet article
Repost0
30 mars 2010 2 30 /03 /mars /2010 14:19

Si l'académisme est, comme cela a été dit, « la reconduction mécanique de codes et conventions hors des pulsions vitales qui les ont fait naître », nul doute alors qu'il y a un néo-académisme de l'oralité et du langage parlé au coeur de la jeune littérature française. Mais il est tout aussi évident que « Polichinelle », premier ouvrage d'un jeune auteur de 26 ans, Pierric Bailly, y échappe. Car, s'il a choisi de reproduire littérairement les effets de langue liés à l'oralité, il le fait avec une verve, une invention, une fantaisie extraordinaires.

Une bande de glandots, dans un trou perdu du Jura. Lionel est un étudiant déserteur comme il en est tant : l'a pas vu la fac depuis un bail, çui-là. Il traîne au volant de son AX rapiécée avec les amis de sa jeune soeur; d'ailleurs, il s'accorde très bien avec eux, tant il est immature. Dialogues pleins de drôlerie avec son père qui ne peut comprendre, c'est de son âge, une telle énergie déployée pour juste s'avachir. Dialogues éclatants de verve avec ses potes, entre marrades d'adolescents mobiles et futés, et âneries assumées des mêmes, chiffonnés et enchifrenés. Alcoolisme raisonnable, mônomes modérés, sexualité sous contrôle, orgies inoffensives : beaucoup de bruit, surtout pour une bourgade de province assoupie, mais peu de mal – hormis quelques épisodes à la lisière du fantastique. Ces losers, c'est dans l'ordre, ne font pas grand-chose de leurs jeunes vies.

Ou plutôt si ; ils parlent. Langue crue, énergisée, travaillée, restituée, hilarante. Ne pas faire grand chose, mais le dire mieux que personne : tout un programme, qui fait de ce livre l'indispensable complément romanesque de « Parce que ça nous plaît », l'essai caustique et informé de François Bégaudeau et Joy Sorman. Reste à savoir si Bailly saura se réinventer, après ce premier roman réussi, au ton juste et neuf. C'est, comme on dit, une autre histoire. 

      

Pierric Bailly, « Polichinelle », 2008.

DISPONIBLE.

Lecture-érudition.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 26 mars 2010

 

Partager cet article
Repost0
30 mars 2010 2 30 /03 /mars /2010 14:13

Stupéfiant de maîtrise, ce premier livre a imposé d'emblée Laurent Mauvignier comme un contemporain capital. Loin des auteurs qui font du bruit, il y a les écrivains qui font date – et tableau. C'est l'intimidation du littéraire par le non-littéraire qui laisse accroire que notre époque n'est pas une grande époque de prose et de fiction. Tant de gens légifèrent sur ce sujet, qui ont entendu parler de Yann Moix, et pas de Mauvignier - ni decinquante autres.

Une langue d'une incroyable tenue, assez difficile à suivre aussi, dans la mesure où « Loin d'eux » est constitué d'une succession diaboliquement orchestrée de monologues alternés : le père, la mère, l'oncle, la cousine d'un jeune homme dont on comprend rapidement qu'il est décédé. Mieux – ou pire : qu'il s'est suicidé. Ce livre constitue l'impossible travail du deuil de ses proches, dévastés ou révoltés, et qui rappelle, certes, que chacun fait comme il peut, dans le fracas, le désordre et la confusion de ces blessures ineffaçables. Travail est sans aucun doute un mot impropre : il serait peut-être plus approprié d'évoquer le chaos du deuil.        

Le jeune homme disparu était parti à Paris, pour y être garçon de café, mais surtout pour s'éloigner d'une famille étouffante et maladroite – d'où le titre. Ce drame est restitué avec une certaine sobriété, mais aussi avec une incroyable dureté. Ce livre est à déconseiller aux intoxiqués des bons sentiments. Apre, sec, terrible, il pose dès l'origine les jalons de ce que Mauvignier déploiera dans la suite de son oeuvre, le deuil, les familles, l'histoire, suite à laquelle on est en droit de préférer cet uppercut originel qui laisse, selon les tempéraments, groggy ou KO, heureux cependant : merveille de la langue, du style, bref de la littérature hauturière.    

 

Laurent MAUVIGNIER, « Loin d'eux », Minuit, 1999.

DISPONIBLE.

Lecture-érudition.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 11 mars 2010

Partager cet article
Repost0
24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 11:12

Avec « Cendrillon », Eric Reinhardt tient les promesses éveillées par ses précédents livres. Souvent les structures narratives sophistiquées sont un cache- misère de livres pauvrement écrits et artificiellement compliqués. Ce n'est pas le cas ici ; d'une part, Reinhardt maîtrise admirablement plusieurs registres littéraires, du pamphlet au thriller financier en passant par le roman familial, et toujours dans une langue pleine de ressources et saturée de bonheurs d'expression; d'autre part, la complexité du livre est nécessaire, dans la mesure où il s'agit pour l'auteur d'évoquer les vies qui eussent pu être les siennes, à partir d'un schéma familial identique : un père écrasé, humilié, détruit par l'échec professionnel et le mépris social.

Ainsi trois personnages alternent-ils dans le récit - en plus de Reinhardt lui-même, qui est une sorte de quatrième mousquetaire - pour construire en quelque sorte trois romans alternatifs; dans le premier, Patrick Neftel devient une sorte de reflet de son père, cumulant frustrations et échecs tant sentimentaux que professionnels, pour le mener au bord de la folie et du crime; dans le deuxième, Thierry Trockel a déjà commencé à surmonter cette origine maudite, et devient un géomètre, de bon calibre, marié et père de deux filles, mais traversé cependant de pulsions érotiques qui menacent l'équilibre de sa vie et de son couple; et dans le troisième, qui est aussi le meilleur, Laurent Dahl devient un financier de haute volée, ce qui nous vaut des pages sidérantes et lumineuses sur les hedge funds, - si vous ne comprenez rien à la crise financière actuelle, et que vous êtes un littéraire, ce livre est pour vous -, découvrant à Londres la vie facile, tentatrice, et finalement broyeuse desmoney makers. Tout cela magistralement maîtrisé d'un point de vue littéraire et bercé par de savoureux contrepoints sur la vie de l'auteur, qui décrit avec beaucoup d'humour son quotidien, sa prédilection théoriciste pour l'automne, ses démêlés avec éditeurs, critiques littéraires, et voisines fatales. Un livre extrêmement drôle, sompteusement écrit, aux récits haletants ; une grande réussite littéraire.

 

 

Eric REINHARDT, « Cendrillon », Stock, 2007.

DISPONIBLE.

Lecture-voyage

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 25 février 2010

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Le blog de la mediatheque de frejus.over-blog.com
  • : actualité de la médiathèque, articles, nouveautés, critiques littéraires
  • Contact

Recherche

Archives

Pages