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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 16:16

Nul n’a jamais trop de talent, mais, et même si, certains savent un peu trop qu’ils en regorgent - nuance. John Updike (1932-2009) était du nombre, et ses multiples excès de diaprures et de drapés auront, au fil du temps, dissimulé le bel écrivain de chasse, de classe et de race sous le moins avenant masque d’un bluffeur under control tout juste un peu trop satisfait de lui-même. Il y aura pourtant eu une soupape d’autodérision dans ce crescendo concerté de jetés battus et de triples lutz, ainsi que le formulerait une ballerine patineuse : Henry Bech, l’écrivain voyageur, cosmopolite empêtré et double sarcastique et distancié de l’auteur. Updike était fort conscient de cette cataracte catalysée de rehauts, de replis et de ressacs, ce dont témoignait cet alter ego aussi moqueur que moqué, en ses mésaventures exotiques et anxiogènes. Bien écrire, ce peut être, dans certaines circonstances ou sous certaines latitudes, rien d’autre qu’une source d’emmerdements supplémentaires.

 « Les larmes de mon père », recueil de nouvelles posthume mélancolique et frémissant, confirme en l’infléchissant la réputation d’Updike. Confirmation : prosateur élégant, souple et ondoyant. Infléchissement : la virtuosité s’y assouplit, cédant la place à une enviable vitesse équilibrée - dite de croisière. Dix-huit nouvelles disparates, centrifuges et testamentaires composent ce recueil. Quelques thèmes majeurs s’en dégagent, et même si ce livre est un posthume, paru aux Etats-Unis en 2009, année dont Updike n’aura pas vu le mois de février, l’habitude qu’il avait prise de recueillir, à un rythme décennal, ses short stories éparses, parues ça et là, exonère l’exécuteur testamentaire du soupçon, fréquent dans les héritages d’écrivains célèbres, de publication abusive, contrainte, forcée. Le premier livre de l’après-Updike est indiscutablement le dernier-né d’une oeuvre protéiforme, considérable et séduisante.

 

La tonalité de l’ensemble est clairement mémorielle, récapitulative et mélancolique. Bien souvent, c’est un septuagénaire qui se retourne sur son passé, avec une stupéfaction globale qui a pour corollaire une enviable absence d’acrimonie. N’était-ce donc que cela, ma vie ? Plût à Dieu que tous les gens âgés fussent pareillement apaisés. Dieu est d’ailleurs présent dans ces nouvelles à la manière de François Berléand dans le paysage cinématographique français : second rôle fiable et assidu qui grignote peu à  peu les places jusqu’à finir au centre de l’écran - le plus ancien dans le grade le plus élevé ? Sur le retour d’âge, Updike manifeste une sorte de déisme tranquille, méditatif et oecuménique, qu’avait éclipsé en ses très riches heures sa belle énergie tout-terrain. Croyances entrelacées - plusieurs mariages mixtes - et notablement dénuées d’agressivité : au rayon (bien trop fourni par ailleurs) « guerre des civilisations », il se fait porter pâle. Un chrétien de bonne compagnie, drôle, délié et cultivé.

Plusieurs de ces nouvelles revisitent, suivant différents angles, l’enfance d’Updike en Pennsylvanie. Le mouvement de sa vie aura épousé, au point d’en faire un écrivain emblématique, non pas grâce à son talent protéiforme et prolifique, mais en dépit de lui, de la seconde moitié du XX ème siècle : de la Pennsylvanie agreste et verdoyante aux métropoles asphaltées et surpeuplées, Boston ou New York. Derrière l’écrivain suréduqué, lauré, traduit dans le monde entier, il y a - aussi - l’émerveillement d’un p’tit gars de la campagne devant les leçons de choses d’un herbier grandeur nature.

Updike s’attarde aussi, ce qui se comprend tant cela est conforme à son projet littéraire, sur ces cérémonies typiquement américaines que sont les anniversaires et autres réunions de promotion. Moi-même, lorsque je reçois des papiers de Sciences-Po, cela file direct à la corbeille. L’ancienne cheerleader a les cheveux bleus, le quarterback de 1949 se promène avec un déambulateur. Sic transit gloria mundi. Cependant, cinquante ans après, fait lien la conviction commune, implicite et d’autant plus forte, qu’ils auront alors, tous autant qu’ils étaient, vécu les meilleures années de leurs vies. Et de fait, même si cela est noté de façon subtile et subreptice, le monde aura changé de base, durant ce demi-siècle séparant ces étudiants gorgés de sève et d’ambition, sous le gouvernement Truman, de ces retraités - les mêmes - chargés d’âmes et d’ans, Obama regnante.

 

Mais la révolution majeure de cette longue séquence historique, plus décisive que cette urbanisation massive à laquelle à plus d’un titre elle se  rattache, plus profonde que cette déchristianisation toute relative, dont une nouvelle axée (la seule) autour du 11 septembre, « Variété des expériences religieuses », marque à la fois la prégnance et les limites, était de toute évidence sexuelle. Ou, plus précisément, cet effet collatéral de la dite qu’aura été l’adultère. Hé oui, les couples vivant hors du péché, sanctifiés par l’Eglise et par l’Etat, par Monsieur le Maire et Monsieur le Curé, et qui lisent amoureusement ce blog de conserve, puisque, n’est-ce pas, l’amour c’est regarder ensemble dans la même direction (celle de l’écran, en l’occurence), bref  les monogames irréprochables (sans parler des abstinents, des homosexuels, des libertins, des célibataires, etc. ) se tapotent méditativement le menton en lisant ces lignes. L’adultère, plus profonde expérience de l’homme - car le narrateur d’Updike est toujours un homme - contemporain, inoubliable et inoubliée, jusqu’aux bords du tombeau ? Mouais.

Ce scepticisme se comprend. Et il date Updike plus irrémédiablement que ne le font les rengaines qu’il cite avec une émotion non feinte, plus anciennes que du Sinatra, carrément préhistoriques. Le charme de l’avocat du diable, le mien donc osé-je croire, est de plaider des causes perdues d’avance, et auxquelles lui -même n’adhère pas. Plaçons-nous donc un instant du point de vue de l’auteur. Ce qui donne sa cohérence au monde de cet auteur, qui n’est jamais qu’un étroit microcosme, c’est qu’il est fabuleusement protégé. Que des américains, que des bourgeois, que des hommes, que des êtres instruits, éduqués, bien élevés ; que des adolescences vécues dans le mol édredon de l’expansion ininterrompue de l’après guerre. ni guerres ni famine ni viols ni misère ni même pauvreté. Partout et en toutes circonstances, aisance et confort. Une petite province, un court archipel à l’abri du fracas du monde. D’où l’incroyable désarroi éprouvé par ces américains-là devant le tumulte chaotique et sanglant du 11 septembre : leur univers était censé durer toujours, garanti par l’étalon-or, la Warner Bros et la Cour Suprême. Les cadets, tels Jay Mac Inerney (né en 1955) ou Joseph O’Neill (né en 1964) ont peut-être été aussi bouleversés par le deuxième avion; ils ont été moins sidérés.  

 

Dans ce contexte historiquement (et sociologiquement) préservé, les drames sont nécessairement intimes et psychiques. Même lorsque les personnages d’Updike voyagent, au Maroc ou en Espagne, ils sont comme lovés au sein d’une forteresse mentale inexpugnable. La griffe inégalable de ce talent singulier aura été de faire cohabiter avec élégance un américain moyen  buté comme une huître, gavé de télé et de patriotisme bas de gamme, et un libéral fin et cultivé qui jetait sur le premier un regard narquois et indulgent. L’une des clés de son succès, sans aucun doute. Ce qui fait qu’en définitive il n’y a pas de meilleur ni même d’autre lieu entre ciel et terre pour la lutte du bien et du mal, ou du moins, pour l’exprimer plus modestement, du devoir et du désir. L’adultère, selon lui - mais il n’est jamais que le plus représentatif des auteurs de sa génération -, c’est la tentation, la pomme d’Eve, le serpent, la morale collective qui se fissure sous les poussées de sève des aspirations individuelles. C’est le prince moi qui brise le vieux roi déchu nous comme banquise au printemps. C’est la Vie qui tord la Loi, mais pour bientôt se figer en Loi à son tour : une seule épouse blessée pardonne et continue, dans de nombreux autres cas le mari épouse en secondes noces, indestructibles, la tentatrice. Familles recomposées, je ne vous hais point. 

Mais cet épisode est, on l’a déjà vu, historiquement dépassé ; ce qui fige Updike dans un étroit créneau générationnel, c’est que le divorce était rarissime, et quasi impensable, dans la génération de ses parents. D’où le sentiment grisant et, pourquoi pas, justifié, d’une conquête décisive. Mais toutes les générations ultérieures, celle de Richard Ford (1944), de Joyce Maynard (1953), de Bret Easton Ellis (1964), furent celles d’enfants de divorcés - ou pouvant l’être, ce qui suffit. La séparation n’était plus le scandale du village, juste un accident de la vie. 

Il est difficile de reconnaître l’audace, et le mérite, d’hier, dans le paysage d’aujourd’hui. Cela ne va pas de soi, tant il est tentant de naturaliser des faits de culture. mais la lave refroidie sur laquelle vous posez vos baskets lors de vos randonnées dominicales, ce fut jadis un volcan en fusion, fureur et chaleur enflammées droit sorties des forges de l’enfer. Avant de ringardiser John Updike, c’est tellement facile, sous les coups de boutoir de « Forteresse de solitude » - l’« Iliade » de la pop culture -, les acides novocaïnés de « Démonologie » - le travail du deuil au temps du rock’n’roll -, ou les scintillements féroces et pathogènes des « Corrections » - la cellule familiale comme enfer domestique -, rappelons-nous qu’il fut un temps où ce code lui-même normatif fut une violente poussée de liberté.

Ceci dit, qui devait l’être, si quelqu’un souhaite s’opposer à ce mariage, qu’il s’exprime maintenant ou qu’il se taise à jamais.

 

John Updike, « Les larmes de mon père », Seuil, 2011.

Lecture-loisir.

DISPONIBLE.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 25 mars 2011

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