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2 mars 2011 3 02 /03 /mars /2011 09:18

Cette autobiographie d’une probité impressionnante aura valu à son auteur un tombereau d’injures, jusqu’à être comparée (en 1999) à Monica Lewinsky, car elle y égratigne, non sans arguments de première main, l’intouchable icône des lettres américaines, J.D. Salinger himself. Rien n’est triste comme de voir appliqué au champ littéraire, qui par excellence devrait et se devrait d’être démocratique et laïcisé, le lexique et les réflexes du tyrannique et du religieux : blasphème, pécheresse, sacrilège, excommunication, Messaline. Hors sujet, tout cela.

C’est un - assez long - article de magazine qui aura, pour le meilleur et pour le pire, décidé de la destinée de Joyce Maynard. En 1972, alors qu’elle n’a que 18 ans, elle publie dans le « New York Times Magazine » une sorte de manifeste générationnel, malin et truqué - ici reproduit en annexe. Malin ; c’est bien écrit, aigu, balancé. Truqué ; ainsi qu’elle le note elle-même rétrospectivement, vierge et n’ayant jamais fumé de marijuana, étrange porte- parole pour la génération 1953 - l’autodérision est, on l’a compris, l’une des qualités de ce livre. Mais éditeurs et éditorialistes ne sont point si regardants, bien au contraire ; la voici aussitôt propulsée Sagan américaine, enfant prodige et fille précoce -  en littérature, s’entend.

De là viendra le meilleur. Avec quelques hauts, dont ce beau livre de mémoires à la fois apaisé et combatif, et pas mal de bas, qu’elle narre avec un franchise décomplexée, elle aura toujours vécu de sa plume, parfois écrivain, et le plus souvent journaliste. Mais aussi le pire : dans les lettres qu’elle reçoit à la suite de la publication de ce texte tonitruant, émerge une lettre du Dieu caché de la prose US, Salinger, donc. Il a 53 ans, 35 de plus qu’elle. Commence alors une brève liaison fatale, névrotique, et intoxiquée ; on comprend que le fan-club de cet auteur surcoté et ressentimental (notre grand silencieux, Julien Gracq avait tout de même une autre classe) ait pris la mouche : pour le dire d’un mot, il est parfaitement cintré. Homéopathie, ascèse alimentaire, hargne littéraire, tropisme vaguement bouddhiste zen, l’auteur de « L’attrape-cœurs » ne gagne pas à être connu. Pour Blanche-Neige, c’est pas le palais des rêves, plutôt la nef des fous. Ce gourou détraqué et nuisible brise la vie de la jeune Joyce, puis la répudie sans ménagement. Elle mettra une vie entière, qu’elle déplie ici avec élégance et probité, à se reconstruire. Le pauvre type carnivore a cru dévorer d’un coup de bec, et je suis poli, la fleur fragile. Mais celle-ci, qui a eu le dernier mot, car c’est celui-ci que nous lisons, était en fer. Maynard 1, Salinger 0.

   

Joyce MAYNARD, « Et devant moi, le monde », Philippe Rey, 2011. 

Lecture-loisir.

DISPONIBLE 

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 21 février 2011

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