Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 mai 2013 4 02 /05 /mai /2013 14:25

A l’heure où le mariage pour tous enflamme bien exagérément les esprits de part et d’autre, le roman de John Irving, plaidoyer affirmé en faveur de la tolérance sexuelle, semble arriver à pic. Je crains que ce ne soit l’inverse, et que l’on n’oublie, de façon dommageable, le talent insigne du romancier sous et derrière l’argumentaire du libéral. « A moi seul bien des personnages » est avant tout un roman, et pour les adeptes, nombreux à peupler mille librairies, des fresques feuilletonnées d’Irving, c’est un bon cru.

Le savoir-faire d’Irving, s’il est peut-être sa limite (ce ne sera jamais l’égal des grands romanciers américains, de Roth à Franzen, d’Updike à Mac Inerney, de Banks à Lehane) n’est du moins plus à démontrer. Foisonnement de personnages et retours en arrière zoomés manifestent une fois de plus sa grande maîtrise de page-turner. Les romans d’Irving ne se dégustent pas comme des grands crus millésimés, mais ils se dévorent comme autant de caracoles littéraires.

Décalée (car le titre original est « In one person »), la traduction du titre, qui est une citation de Shakespeare faisant office d’épigraphe, est en définitive parfaitement appropriée. En effet, le trouble identitaire du narrateur et personnage principal, né en 1942 (comme Irving) commence par une question de nom. Il se nomme d’abord Bill Dean Jr, mais son père et sa mère se sont séparés aussitôt, et son beau-père, sexy professeur et animateur de théâtre, fondu de Shakespeare et d’Ibsen, plus jeune (et plus bienveillant et tolérant, infiniment aimé) que sa mère, lui donnera en surplus de l’amour confiant dont le jeune garçon a bien besoin, son nom : ce sera dorénavant Bill Abbott. Mais bien entendu, le cœur du livre est l’indécision, d’abord l’identité sexuelle ensuite, de Bill ; toute sa vie, il sera bisexuel et en butte aux sarcasmes ou du moins à la méfiance des uns et des autres.     

L’intrigue, dépliée sur cinq cent pages, est, comme toujours chez Irving, irrésumable, mais les habitués y retrouveront l’essentiel de son bestiaire : la lutte, les familles dysfonctionnelles, le personnage principal (et pas mal d’autres autour de lui)  écrivain, les hommages à la littérature cousus dans le texte avec comme toujours Flaubert et Dickens comme totems, les voyages en Europe. Ne manquent que les ours, portés disparus cette fois-ci. Irving y ajoute donc une problématique nouvelle, avec une mention spéciale pour la chronique des années sida, dans laquelle affleure une émotion inattendue, mais il n’a jamais eu froid aux yeux. C’est un bon livre, car c’est un bon cocktail : un thème étonnant, des scènes crues, l’expérience d’un auteur chevronné. Quant au manifeste qu’il contient, chaque lecteur en fera ce qu’il voudra. Ce serait le plus malvenu des prétextes pour ne pas le lire. Le vrai parti, et la vraie patrie des romanciers, c’est leur talent.

 

 

John Irving, « A moi seul bien des personnages », Seuil, 2013.  

EN COMMANDE

Lecture-loisir

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de la mediatheque de frejus.over-blog.com
  • : actualité de la médiathèque, articles, nouveautés, critiques littéraires
  • Contact

Recherche

Archives

Pages