CLASSIQUE, CLASSIQUES Notice 11 - Décembre 2010 Jean Genet: "Les bonnes"

Saint-Simon de la pègre, Chateaubriand de la racaille, Racine de la prostitution homosexuelle, Jean Genet allie les cadences d’une langue somptueuse, soufflée et sifflante, aux panoramas dévastés des jungles urbaines : les périodes de Bossuet, mais pour décrire le petit peuple des pavés de Pigalle. Avant d’être sa signature, cela aura été son innervation et sa fraîcheur.

Mais ce hiératisme passionné et parfois suffocant aura été aussi le moyen de donner droit de cité à qui jusqu’à lui ne l’avait pas ; la générosité de Jean Cocteau, son découvreur, n’est pas en cause, mais nul n’aura mieux illustré que lui-même sa propre maxime : « une tragédie, c’est une reine qui a des malheurs ». Dès sa première pièce, « Les bonnes », Genet dément, contourne et infirme ce point de vue sociologique, depuis le promontoire des classes privilégiées. Le face-à-face entre la bonne et la maîtresse, typique de la comédie à téléphones blancs et descentes de lit en peaux de tigre, n’est ici qu’un trompe-l’œil, joué par deux bonnes, Solange et Claire, pour conjurer et exorciser la haine violente balafrée d’envie qui les lie à Madame plus sûrement que ne le ferait nulle inféodation amoureuse.

Les reproches ourlés de réalisme n’ont aucune prise sur Genet : ses bonnes, dont il a pris le modèle chez les sœurs Papin, domestiques criminelles de l’entre-deux-guerres célébrées par les surréalistes, s’expriment  comme la princesse de Boigne. Mais Genet fera preuve d’assez de ténacité dans la préciosité marbrée pour imposer simultanément son univers interlope crasseux et doré, et la langue royale qui à la fois le magnifie et le tourne en dérision.   

  Jean GENET, « Les bonnes », Gallimard, 1947.

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Lecture-loisir.

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 1 octobre 2010