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5 juin 2013 3 05 /06 /juin /2013 14:09

   La bonne nouvelle, c’est qu’en 2013 un poète peut encore faire la Une d’un quotidien généraliste – en l’occurrence « Libération ». La mauvaise, c’est qu’il s’agit de Michel Houellebecq. Au-delà de la plaisanterie, facile, cet événement manifeste une ambivalence et traduit un malentendu : si la tête de série numéro un, la métaphore est de circonstance, de la littérature française est perçue par le grand public essentiellement comme un romancier, reconnu dans ce registre, et lauré du Prix Goncourt en 2010 pour « La carte et le territoire », lui-même se voit, se veut, et peut-être se rêve en poète. A tout le moins n’a-t-il jamais cessé de pratiquer ce genre minoré, latéral, et marginal(isé). Cet entêtement du moins mérite d’être signalé, sinon salué.

Il y a un siècle environ, André Breton – avec d’autres – avait su inventer, via un regard neuf posé sur des objets nouveaux, une sorte de merveilleux quotidien. A l’autre extrémité du spectre, Houellebecq se plaît, sinon se complaît dans une sorte de benoît lyrisme de la déréliction. Dans un décor de centres commerciaux et de téléviseurs allumés, c’est toujours la classe moyenne élargie sous antidépresseurs. Désillusion et décrépitude croisent leurs philtres mauvais dans les couloirs de la banalité. C’est le chant de l’inutilité de tout, la fin des choses et la mort lente des émotions, la vanité de l’amour, et même la dérision du sexe, pourtant longtemps la seule source d’énergie positive dans l’univers houellebecquien.

Mais enfin la poésie, ce n’est pas seulement sentir, c’est aussi dire. Et c’est ici que, assez vite, le bât blesse. Ce qui frappe dans ce mince texte, ce n’est pas la conformité, après tout passablement logique, de cet univers lugubre et sinistré avec celui qui s’exprime dans les romans, réussis et couronnés de succès, de l’auteur : c’est surtout le classicisme, pour ne pas dire la frilosité, de la forme. Bouts rimés, quatrains, alexandrins et vers libres : c’est Henri de Régnier à l’heure de la télé-réalité. Lexique limité et syntaxe rétrécie : c’est la forme de la poésie, mais sans le souffle apparié. Cet objet littéraire non identifié est le croisement entre la notoriété immense de Houellebecq capable d’imposer le moindre de ses caprices, et une idée de la littérature finalement assez désuète. Même l’humour, noir et glacé, qui rythme ses romans (et fait partie intégrante de leur fortune) est ici prévisible et attendu. Le malentendu est total, jusqu’en Une de « Libé » : l’interview est du poète, mais c’est le romancier qui y est en photo.

 

 

 

Michel Houellebecq, « Configuration du dernier rivage », Flammarion, 2013.

Lecture-loisir

DISPONIBLE

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 4 juin 2013

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