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18 mars 2011 5 18 /03 /mars /2011 09:40

C’est par un abus de langage singulier qu‘il s’écrit si souvent que les Etats-Unis sont la seconde patrie de tout cinéphile, notamment français. En vérité, c’est tout simplement la première. La langue maternelle des intoxiqués du celluloïd est l’anglais moderne, brutal et décrassé made in USA, dont, bien sûr, Tarantino reste le meilleur ingénieur. Le cordon Bickford qui relie les yeux qui s‘écarquillent au cœur qui bat est irrigué par le Stars and Stripes, quand ce n’est pas par le God Bless America. Il n’est pas jusqu’à la division qui déchire tout cinéphile de bonne compagnie entre l’art et essai, d’une part, et les multiplexes, d’autre part, qui ne prenne son origine dans une division sociologico-géographique typiquement américaine : Los Angeles et Hollywood du côté des gros bataillons, New York et Broadway du côté des maigres avant-gardes. Oliver Stone versus Jim Jarmusch , si vous voulez.

 

Or, la cinéphilie a désormais son Saint-Simon, avide de commérages comme l’original, et son Bourdieu, théoricien-militant comme son illustre modèle. L’originalité, c’est que ces deux pôles supposés antagonistes sont réunis sous la même casquette. Cet hybride étonnant, moitié ragoteur déplaisant et délectable - ne nous faisons pas meilleurs que nous ne sommes -, moitié gauchiste intello - idem -, dégage un charme prenant, qui devient éblouissant, et fascinant, au cours des fresques de longue haleine que sont « Le nouvel Hollywood » (2002) et « Sexe, mensonges et Hollywood » (2006). Il y a deux genres de cinéphiles ; l’intermittent, qui n’a pas lu Biskind, et l’autre. Ces deux monuments, qui sont à la fois, c’est si rare, un régal et une référence, ont été rédigés à l’ombre studieuse d’un journalisme de moins en moins engagé. Voici donc les coulisses de l’exploit, c’est-à-dire un recueil d’articles qui réécrits, rallongés, redéployés et remis en perspective auront donné les meilleurs livres de cinéma du siècle d’Internet - le vingt-et-unième.

 

Si tout grand livre est à la fois une trêve, une fuite et une quête, alors le prodigieux diptyque de 1 500 pages - qui se lit comme une fleur, comme un thriller, comme un polar -, de Biskind en est un. Une trêve : s’il a écrit ces deux livres, c’est que l’évolution de « Premiere » - oui, l’un des titres florissants de la presse ciné US était directement sourcé à un magazine français - de plus en plus people, ne le satisfaisait guère ; il s’en explique dans la préface de ce livre-ci. Une fuite : si la longe du journalisme lui paraissait trop courte, il pensait - à juste titre - qu’un livre et a fortiori deux, lui offrirait un espace de liberté retrouvée. Ainsi en va-t-il parfois de l’essayisme, lorsqu’il est excellent ; informé comme une chronique, intelligent comme une thèse ; à la fois dense et fluide. Un petit malin a résumé cela autrefois : « en lisant des journaux, on apprend tout, mais on ne comprend rien ; en lisant des livres on comprend tout, mais on n’apprend rien. » Brutal - mais est-ce si faux ? Une quête : en reconstituant la saga du Grand Ecran de « Bonnie and Clyde » (1967) à « Gangs of New York » (2002), de Warren Beatty à Leo DiCaprio, et de Coppola à Tarantino, Biskind cherche à retrouver le fil d’Ariane de ce désir de cinéma, de magie moderne et laïcisée, que nous sommes si nombreux à partager. Ce double livre, c’est un peu l’archéologie d’un désir. 

 

« Mon Hollywood », qui paraît ces jours-ci, est un patchwork d’articles, tous consacrés au cinéma américain, et rédigés pour diverses publications, de 1973 à 2000. Un lecteur moins ébloui par les deux volumes précédents parlerait peut-être de rogatons ; il s’agit plutôt du soubassement du chef- d’œuvre dédoublé de Biskind. Ces traces sont aussi des preuves. Car le charme de cet auteur est de connaître par le menu, et de décrire en détail, l’ensemble et la totalité des métiers du cinéma : acteurs, scénaristes, cinéastes, producteurs, critiques - tout en bas de l’échelle. Cette façon d’envisager les films suivant chacune de ces entrées offre une vision panoramique à la fois convaincante, séduisante - et bien sûr contestable.  

 

Ainsi retrouve-t-on dans ce recueil toutes les facettes de l’industrie du loisir qui emploie Brad Pitt et Julia Roberts, Ridley Scott et Todd Haynes. Bien entendu, la notoriété des protagonistes n’est pas égale, et si vous avez probablement entendu parler de Martin Scorsese, Clint Eastwood ou Judy Davis, longuement portraiturés dans ce livre, c’est moins sûr pour Sue Mengers - l’agent de, entre autres, Barbra Streisand - ou Don Simpson - producteur de « Top gun ». Mais c’est l’ensemble qui fait sens, redessinant in fine la cartographie cinématographique. Ainsi s’établit un équilibre entre la cinéphilie « artistique », négligeant toute contrainte commerciale, quand elle ne fait pas du gouffre financier un gage de qualité, et le faire-valoir de promo en pilotage automatique - type Grand Journal de Canal Plus. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.       

 

Nous autres spectateurs sommes mithridatisés par ce déferlement de manipulation consentie et de publicité (mal) déguisée. Mais le risque, devant l’agacement provoqué par ces béni-oui-oui béats, attachés de presse posant aux journalistes, est de redresser le bâton dans l’autre sens : c’est-à-dire de submerger l’esprit critique sous un déferlement univoque de bile et d’aigreur. Et alors, à lire ces snipers, à écouter ces éternels mécontents, on en vient à se demander ce qui les aura portés vers un objet qu’ils aiment si peu.   

 

Peter Biskind symbolise ce qui est l’exception, et qui devrait être la norme : un esprit critique qui ne tue pas l’enthousiasme, et susceptible de trier le bon grain de l’ivraie. Mais ce qui frappe dans cet ouvrage, ce n’est pas tant l’écartement du compas, rien de ce qui est cinéphilique ne lui étant étranger, que la mutation enregistrée au tamis du temps : les plus anciens textes s’inscrivent dans une grille de lecture gauchiste, avec comme acmé un éreintement significatif de « Voyage au bout de l’enfer » (1978) de Michael Cimino. Ainsi qu‘une analyse critique fluide et informée de « Star Wars », ce qui nous change de la pénible autant qu’inappropriée condescendance de Pauline Kael - la sœur de Michael ? Tandis que les papiers récents sont bien assagis, pour ne pas dire complaisants. Est-ce l’auteur qui a mis de l’eau dans son pétrole au fur et à mesure, sont-ce les supports dans lesquels il écrivait qui auront infléchi et émoussé son acidité, est-ce l’époque qui ne se prête plus à ces sévères et, il faut bien le dire, assez manichéennes envolées lyriques ? Les trois à la fois, sans doute.

 

Mais peut-être est-ce tout simplement le cinéma qui aura changé de visage, essentiel dans la vie de si peu, - et concurrencé par tant d’autres cataractes d’images -, important dans celle du plus grand nombre. Connaissez-vous un ami, une relation, qui s’assume ainsi : le cinéma, ça ne m’intéresse pas du tout. Vous voyez bien. C’est ainsi que se définit la civilisation de loisir ; un nombre infime d’experts, considérable d’amateurs éclairés. Ainsi le son THX est-il une dimension de la vie, et non la vie même. A cela il convient d’ajouter, sans excès d‘originalité, la mondialisation - Alain Delon est une star au Japon -, et le glissement multiplié de la culture en divertissement. Cartographe inspiré de cette mutation dans ses maîtres-livres, Biskind s’y révèle, dans cet apostille mineur et passionnant, lui-même entraîné par ce mouvement global, décrit avec sagacité selon d’autres voies et d’autres procédures, so frenchy, par Frédéric Martel dans « Mainstream » ?     

 

 Mais, à tous ceux qui ont un pied et quatre orteils dans l’imaginaire, et qui de nos jours échappe à cette définition ? Peter Biskind offre un belvédère sur cet arrière-monde habitable, fertile, préférentiel. Nous avons tant de mal, on me le dit tous les jours, à démêler le vrai du faux, à distinguer la vie de l’écran. Pour moi, et je ne dois pas être le seul, Luke Skywalker est infiniment plus réel que Nicolas Sarkozy.   

 

Les anglo-saxons ont une magnifique expression, intraduisible, pour célébrer et désigner les héros de l’ombre, les princes du clair-obscur, les acteurs méconnus et essentiels de telle ou telle discipline, les chevilles ouvrières, anti-glamour au possible mais indispensables à la bonne marche de l’équipe, à la manière d’un Carles Puyol au FC Barcelone ; vilain comme tout (ça compte pas ? et comme actrice, vous préférez Sandrine Kiberlain à Scarlet Johansson, j’imagine ?), pas très technique, marque jamais un but, pas de gestes de classe, d’accord, d’accord. Sauf que quand il n’est pas là, il y a des ratés inhabituels dans la splendide mécanique catalane, des torrents de sable dans la salle des machines de la plus belle équipe de l’histoire du foot. Ce mot, c’est ; unsung hero ; littéralement : héros non chanté.

 

Peter Biskind est le unsung hero de l’épopée de celluloïd, et de l’usine à rêves dont le nom, connu dans le monde entier, comme un mot de passe magique et terrible, flamboie sur une colline de Los Angeles - et en couverture de ce livre.

 

 

Peter BISKIND, « Mon Hollywood », le Cherche-Midi, 2011. 

Lecture-loisir.

DISPONIBLE. 

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 9 mars 2011            

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